samedi 24 octobre 2015

La dame de la bibliothèque

Quand on est gamin, il y a des personnes qu'on imagine pas ailleurs que dans ce qu'on imagine être leur milieu naturel. La dame de la cantine est la dame de la cantine, tout comme la dame de la bibliothèque est la dame de la bibliothèque.
Le jour ou j'ai compris que ma logique avait une faille, c'est le jour ou je me suis rendue compte que la dame de la bibliothèque était aussi ma maman.

Avoir une mère bibliothécaire, c'est un peu comme avoir des billets d'avions gratuits à tout jamais pour toutes les destinations et même au-delà. Je crois bien que notre relation tourne au trois quarts autour des livres, et la moitié de mes souvenirs d'enfance sont liés aux livres ou à la médiathèque. Il faut dire que pendant dix ans, on habitait en face de la bibliothèque. J'y restais jusqu'à la fermeture et quand je finissais ma pile de livres dans ma chambre, il me suffisait de marcher quinze mètres pour trouver de nouveaux bouquins à dévorer. La vie était plutôt chouette.

Bien sur, j'ai eu droit à quelques privilèges. Le choix cornélien des quatre livres maximum ne m'a jamais tracassé, il m'arrivait régulièrement d'avoir dix ou quinze livres empruntés en même temps. Les pénalités de retard n'existaient pas, ce qui me pose de légers soucis quand je vais à la bibliothèque de mon école maintenant. Quand j'en avais marre de lire, je trouvais toujours de quoi m'occuper. Ma mère me confiait des missions de la plus haute importance comme ranger les livres que les gens laissaient sur les tables. Je m'installais parfois sur le fauteuil de l'accueil pour dire bonjour aux gens qui entraient, et certains jours, j'ai même eu l'honneur de bip-biper les livres qui partaient en vacances chez des lecteurs. La médiathèque était mon royaume, les livres, mes fidèles amis, ma maman, la Reine du Royaume des Livres. C'était le bon vieux temps.


J'ai donc grandi avec les livres. Ils étaient mes jouets, mes copains, mes amis, mes professeurs. Avec ma mère, on parlait peu, mais on lisait beaucoup. A travers les livres qu'elle me conseillait, je sentais qu'elle comprenait ce qui me passait par la tête. Bien sur, le jour ou elle m'a rapporté un livre sur une étudiante qui se prostituait pour payer ses études, je me suis demandée si il y avait un message caché. Apparemment non. Je suis plutôt soulagée.

Quand j'ai commencé à poser mille et une questions inutiles sur le pourquoi du comment de tout et n'importe quoi est arrivée la question fatidique du "Comment on fait les bébés?". Si certains parents sont complétement démunis face à cette question, ma mère, en bonne dame de la bibliothèque spécialiste de la jeunesse ne s'est pas laissée démontée. Il a suffit d'un livre, et tout était clair, je pouvais aller frimer devant les copains de l'école qui en étaient encore aux cigognes et autres choux. Merci Babette Cole et son fameux livre Comment on fait les bébés! Encore aujourd'hui, je repense souvent à ce livre si fabuleux, amusant, décomplexé et pédagogique. Quand certains parents inculquent malgré eux l'idée que le sexe, c'est mal, tomber sur une maman qui vous sort le kamasutra en montgolfière, c'est plutôt chouette. 


Bien sur, j'ai fini par laisser tomber la Papaothèque et les J'aime lire pour me lancer dans des lectures de plus grande envergure - Harry Potter je crie ton nom! Hum pardon. - mais je garde pour la littérature jeunesse une vraie affection. Il faut aussi bien admettre qu'on trouve en littérature jeunesse une créativité qu'on trouve peu ailleurs. De jolis papiers, des illustrations débordantes d'imagination, du pop-up aux livres en tissus en passant par de magnifiques gravures, les livres sont de beaux objets, ce qui devient plus rare en littérature adulte. 

Je pense que c'est en partie de voir ma dame de la bibliothèque toujours aussi passionnée par ce qu'elle fait qui fait que je garde mes yeux d'enfants dans ce domaine. Parce que soyons honnêtes, elle pourrait refourguer chaque année les mêmes bouquins aux enfants sans se poser trop de questions. Mais non. Nos week-ends mère-fille ont commencés par les salons du livre, ou je la voyais dégainer son petit carnet pour noter des noms d'auteurs, d'illustrateurs, d'éditeurs. En une seconde, elle peut dire "Non, ce livre, on l'a déjà" - Coucou la mémoire, c'est pas comme si ils avaient des milliers de livres dans sa bibliothèque hein -. Elle papote avec tout le monde, pose mille et une questions, demande si ils font des interventions dans les médiathèques. Elle s'inscrit à des stages, pour apprendre à mieux raconter les histoires, travailler ses voix pour passer de la grenouille au petit chat puis au Roi encore mieux qu'avant. Elle organise des soirées pyjama à la médiathèque, et elle aussi vient en pyjama. Elle prépare Halloween, Noël, réfléchit à des thèmes, des animations. Vingt ans de métier mais il faut croire que sa passion ne s’essouffle pas. Avouons-le, une dame de la bibliothèque pareille, ça fait rêver.




La lecture, c'est une histoire de famille chez nous. Ma grand-mère, ma mère et moi, on se fait tourner les livres, on commente, débat, échange. On aura toujours un livre dans le sac, parce qu'on sait jamais ce qui peut arriver. Maintenant que je retrouve ma liberté de lectrice, je savoure de replonger dans de folles aventures, de découvrir de nouvelles pépites. Je me dis que j'ai eu la chance d'avoir une maman dame de la bibliothèque. Grâce à elle, j'ai été plongée dans un univers qui m'a plu et me plait encore, un univers infini. J'ai grandi avec les livres qu'elle me conseillait, et si aujourd'hui, elle ne me ramène plus de Max et Lili, on continue à partager sur les thrillers, le fantastique, les biographies, sur tout les autres livres en fait ( ça ira plus vite ). On débat, on partage, on discute, on se fait découvrir nos trouvailles. Elle comprend quand j'arrive avec une heure de retard parce que j'étais plongée dans mon livre, que je me suis couchée à quatre heures du matin parce que je voulais finir les trois tomes d'un coup, quand elle me voit relire les mêmes bouquins pour la centième fois. Et quand elle me parle des histoires qu'elle a raconté au travail, je me dis que les mioches qui l'écoutent ont bien de la chance d'avoir une dame de la bibliothèque aussi fabuleuse. 








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